
La pièce questionne le quotidien de la classe moyenne qui s’appauvrit de jour en jour. Le social, le politique, l’intime sont abordés tout à la fois, mais aussi la résilience de l’individu soumis aux pressions d’une vie banale sans lendemain.
La Presse — Portée par un texte ciselé, une mise en scène épurée et des comédiens inspirés offrant une large palette d’émotions, «Les Fugueuses», la nouvelle création théâtrale texte et mise en scène de Wafa Taboubi, est une pièce inspirée de l’actualité. La Première a été présentée, le vendredi 3 octobre au 4e Art, devant une salle pleine d’amateurs de théâtre, et ce, dans le cadre de la 6e édition de «La sortie au théâtre» (3 et 4 octobre 2025) organisée par le Théâtre National Tunisien (TNT).
Coproduite par le TNT et Ostoura Production avec le soutien du ministère de la Culture, la pièce questionne le quotidien de la classe moyenne qui s’appauvrit de jour en jour. Le social, le politique, l’intime sont abordés tout à la fois, mais aussi la résilience de l’individu soumis aux pressions d’une vie banale sans lendemain.
Les six comédiens : Fatma Ben Saidane, Mounira Zakraoui, Lobna Noömane, Oumaima Bahiri, Sabrine Omar et Oussama Hnayni, soutenus par un texte écrit sans doute avec gémissements, évoluent sur une scène nue sans aucun décor sauf quelques éléments de signalisation (interdit, stop) indiquant une route dans laquelle les personnages : enseignante vacataire, secrétaire, ouvrière dans une usine de textile, femme de ménage, «barbécha», étudiante… cherchent leur chemin, finissent par s’égarer puis se retrouver.
Ce groupe de personnes, représentant le microcosme d’une société, attendent un transport qui tarde à venir à cause d’une grève. Ils sont là à cogiter et à remuer avec amertume leur quotidien désespérant. Bien que leur chemin diffère, ils décident de se mettre d’accord pour rompre l’attente et poursuivre leur route en empruntant un imaginaire qui les mène vers une meilleure issue dans l’espoir d’une vie moins contraignante.
Pour une heure ou plus ou moins, qu’importe, ces transfuges plaquent le quotidien et s’évadent vers un ailleurs, un imaginaire où tout est permis. L’élan, le besoin intérieur pressant et la nécessité de s’exprimer en toute liberté comptent beaucoup plus que rien. C’est alors que les langues se délient pour exprimer, voire vomir un ressenti chargé. La polyphonie des voix brode un linon sonore immersif accompagné d’une musique entêtante.
Bien que le démarrage soit un peu laborieux, les comédiennes et comédien retrouvent par la suite leur forme et habitent avec fougue et passion leur personnage élevant la voix contre un pouvoir arbitraire qui reste sourd à leurs revendications. Ces contestataires perdus sur la voie publique cherchent avec peine leur route mais la tension et la fatigue les mettent à bout de nerf. Ils perdent la boussole et entrent dans un état second où ils livrent leur colère et leur souffrances face au désordre qui règne dans la société.
Les comédiens, avec les mouvements tantôt calmes tantôt déchaînés de leur corps, font vivre les tiraillements et les aspirations de ces personnages qui restent unis sur l’objectif à atteindre et partagent, malgré leurs tiraillements, les moyens d’y parvenir. Malgré le drame de la situation, l’humour ne manque pas ce qui donne de la respiration à ce road-movie théâtral pilotée avec une grande maîtrise par Wafa Taboubi.
Cette dernière déploie avec une grande justesse des fragments de vie d’une classe sociale qui s’appauvrit de jour en jour et perd l’espoir en l’avenir. Un spectacle théâtral qui vaut le détour, compte tenu du grand enthousiasme de l’applaudimètre à, la fin de la représentation.